19/09/2025 legrandsoir.info  22min #291010

 La fabrique de l'ignorance collective par l'insignifiance culturelle anoblie. Partie 1 : Sur les pas des fumiers et des failles de l'errance haïtienne

La fabrique de l'ignorance collective par l'insignifiance culturelle anoblie. Partie 2 : De la déroute de l'intelligence à l'autoroutage vers l'indigence

Erno RENONCOURT

Dans le premier acte de cette tribune, nous avons exploré quelques-uns des sillons profonds creusés par les postures des acteurs sociaux (PAS) haïtiens, lesquels du haut de leur anoblissement par la géostratégie de la globalisation, ont pavé la trajectoire de la régression circulaire haïtienne. En suivant les pas fossilisants qu'ils ont laissés sur l'évolution de la société et le fonctionnement des institutions étatiques, nous avons, pour ainsi dire, cartographié l'emplacement des fumiers communicants, détecté les lignes de failles culturelles et localisé les segments de médiocrités humaines, dont l'enchevêtrement et l'activation cyclique donnent à Haïti sa réputation shitholisante d'étouffoir de la dignité et de l'intelligence. L'historien marxiste haïtien Roger Gaillard n'a-t-il pas, du reste, théorisé la mise en déroute de l'intelligence en Haïti (La déroute de l'intelligence, mai-juillet 1902, Tome 3, La République exterminatrice, 1982) ? Partant de cette intelligence (supposée) déroutée par la médiocrité, nous venons, dans le second acte de cette tribune : 1-) D'une part, expliciter comment fonctionne, en termes d'éléments factuels et d'interactions, ce processus d'enfumage culturel anoblissant ; puisque c'est lui qui tue l'intelligence collective haïtienne, en autoroutant les ressources humaines vers des postures d'indigence ; 2-) Et d'autre part, révéler la dimension stratégique de cette indigence ; puisque sa finalité ne vise qu'à éroder la dignité et l'humanité de la population haïtienne.

Le processus que nous nous apprêtons à décrire, et que nous modélisons par l'image mise comme illustration, est le résultat d'une appropriation, par un diagnostic silencieux, des comportements, des intentionnalités et du rôle, souvent en double jeu, des acteurs décisionnels haïtien. Nous avons dû recourir à un outillage complexe, en mobilisant la triangulation systémique et le langage graphique comme support de modélisation pour analyser les données contextuelles que nous avons collectées dans le cadre de nos activités professionnelles. C'est ce qu'originalement, nous appelons la géométrie des données.

Parler de cet outillage transdisciplinaire peut sembler répondre à un étalage de culture ou une forme de pédanterie intellectuelle. Pourtant, il s'agit simplement d'une démarche de modélisation de la pensée critique. Car critiquer efficacement un système, nécessite de construire le modèle du cas invariant que l'on dénigre pour mieux savoir comment lui opposer un autre modèle innovant. D'ailleurs, si l'on croit les penseurs systémiques, « la modélisation est le mode d'expression le mieux adapté à la préparation [conceptualisation] des projets et à la décision [...] [stratégique] sous toutes ses formes, parce qu'elle met en œuvre naturellement l'interdisciplinarité indispensable aux problèmes complexes ». En proposant des représentations graphiques pour modéliser les processus sociaux que nous décrivons, nous amplifions la pertinence de notre argumentaire en intégrant dans notre raisonnance un langage hybride, à la fois scientifique, métaphorique et graphique.

Pour les besoins de la complexité de notre argumentaire, cette tribune est répartie en 5 articles dont celui-ci est le second. Nous espérons que le petit groupe de lecteurs et lectrices qui s'intéresse à nos productions sera indulgent et comprendra que la réflexion, qui vise le changement de perspective, par l'apprentissage pour la transformation, s'inscrit toujours dans le temps long.

Le Pas à Pas gluant des élites ou le glissement vers l'indigence

Étrangement, cette démarche réflexive hybride, inscrite dans le temps long, comme support à la décision stratégique, n'a pas bonne presse dans les lieux où règne l'ignorance collective. En ces lieux, soumis à la géostratégie de l'urgence, les décideurs sont plus adeptes du bricolage, des approximations, de l'improvisation. Autant d'avantages d'immédiateté qui, en faisant gagner du temps, sont manifestement sources de confusion, de manipulation, d'instrumentalisation et d'errance programmée.

En Haïti, par-delà le succès de la culture et l'anoblissement des acteurs, les lieux de la prise de décision sont majoritairement des lieux d'instrumentalisation au profit de la déshumanisation. Les acteurs décisionnels ne pratiquent pas un management qui assume les divergences structurantes. Les valeurs de responsabilité, d'intégrité et de probité, qui nourrissent le courage patriotique, les compétences systémiques et l'intelligence éthique, sont rarement recherchées. Le management exercé dans le shithole est celui de l'allégeance et des convergences aliénantes. C'est la loyauté envers les critères de performance du système de la déshumanisation qui assure la promotion vers l'anoblissement et la sacralisation. Par-delà les titres académiques et les distinctions honorifiques qui éclaboussent les diplômes des acteurs stratégiques haïtiens, le système sait pouvoir compter sur l'opacité de leurs médiocrités humaines : irresponsabilité, improbité, cécité, surdité et indignité Et c'est justement ce qui nourrit l'ignorance collective. Tout l'écosystème institutionnel du shithole est ainsi contraint et aligné sur les PAS du processus d'attrition stratégique. C'est ce processus dont nous nous efforçons justement de révéler la nature immonde et gluante pour les acteurs qui le pilotent.

Cette mise au PAS, parce qu'elle mobilise comme pilotes les acteurs stratégiques haïtiens au profit des acteurs stratégiques transnationaux, assure le glissement invariant de ce pays vers cette phase de non-apprenance, que nous appelons l'indigence. Celle-ci s'apparente à une déroute de l'intelligence, mais elle n'est au vrai qu'un autoroutage assumé, car propulsé par le moteur de l'ignorance collective et carburé par la dégénérescence des groupes dominants. Toute l'intelligence se trouve dans la manière dont ce processus se met en place et se recycle indéfiniment. Comme tout l'écosystème institutionnel haïtien est aligné sur cette indigence, il faut donner l'illusion d'une opposition de gens cultivés et compétents où la géostratégie de la globalisation puise les ressources humaines pour compenser les défaillances des décideurs politiques médiocres qui sont au sommet du leadership. Mais, ce n'est qu'une mise en scène, puisque les décideurs politiques sont propulsés au sommet du leadership haïtien par cette même géostratégie qui propose ses valets anoblis en assistance. L'anoblissement est donc un processus subtil de légitimation de la médiocrité, et c'est en bonne logique processuelle qu'il conduit à l'ignorance collective.

Qu'on se garde toutefois de croire que cet autoroutage vers l'indigence est une singularité du shithole haïtien. Comme l'a si bien écrit cet avocat révolutionnaire français du XVIIIème siècle dont les idées sociales et politiques, si innovantes pour son époque, continuent encore de nous éclairer dans ces âges sombres vers lesquels nous entraine l'indigence : « les maux qui affligent les nations sont [toujours] l'ouvrage de l'égarement, de l'ignorance et de la dépravation.[...] Il semble que la nature ne fait que nous punir d'avoir oublié ses enseignements [éthiques], et qu'elle nous fasse souffrir que pour nous ramener plus impérativement à la sagesse de ses lois » (Jacques-Nicolas Billaud-Varenne, Principes régénérateurs du système social, Sorbonne, 1992, p. 65).

En conséquence, ce processus est l'attracteur indigent qui doit être combattu par les Haïtiens, car c'est lui le fossoyeur qui creuse inexorablement le puits sans fond de l'errance haïtienne. Pourtant, ce processus reste très méconnu auprès des acteurs du changement en Haïti. Et c'est pourquoi cette démonstration nous semble nécessaire, car elle permettra aux uns et aux autres d'approprier systémiquement le modèle générique de l'errance anthropologique haïtienne. Un modèle qui fonctionne comme une mise au PAS de la gouvernance d'Haïti par la géostratégie de la globalisation, à travers les PAS fossilisants des lettrés anoblis.

Ce pas à pas est déterminant pour comprendre la régression circulaire invariante haïtienne. Car il assure la résurgence des cycles de crise et permet l'instrumentalisation de ceux et celles qui sont anoblis, puisque leur l'asservissement les oblige à apporter leur aura pour servir de passerelles offrant aux médiocres politiques les adjuvants de leur succès. Ce qui explique pourquoi la médiocrité ne meurt jamais en Haïti, puisqu'elle est renouvelée par l'enfumage de ceux et celles qui ont la réussite. Ainsi, i nourrissent eux-mêmes cette errance, car ils s'accrochent et s'entêtent à vouloir réformer la dimension politique médiocre défaillante, tout en se prêtant au jeu anoblissant de la performance culturelle. Or c'est la performance culturelle qui, par son anoblissement asservissant, assure la résurgence de la médiocrité politique défaillante. Preuve qu'ils ne comprennent pas ou refusent de comprendre -en raison de leurs intérêts- la dimension systémique de l'errance. De fait, le collectif haïtien est sous l'emprise d'une si terrifiante ignorance, qu'il est incapable de comprendre la dimension géostratégique de l'anoblissement dans l'invariance de son écosystème. Et pour cause, à chaque sacralisation d'un lettré haïtien, à chaque mise en valeur symbolique d'un élément, ils dansent et font la fête, malgré le chaos qui précède ou suit toujours ces actes symboliques.

Sacraliser pour mieux déshumaniser

En ce sens, performance culturelle et défaillance politique sont deux des rouages solidaires de l'engrenage qui oriente Haïti vers son errance. On ne peut briser le cycle de l'errance que si on comprend la synchronisation qui relie l'ensemble des rouages dans cette cadence paradoxale qui assure la régression circulaire de l'écosystème haïtien. Ainsi, au-delà de ce processus de sacralisation sur lequel nous nous concentrons dans cette tribune, il y a d'autres processus méconnus, avec leurs propres rouages paradoxaux, qui concourent au glissement d'Haïti vers l'indigence. Sans une modélisation systémique, mettant en évidence les rouages des différents processus de sacralisation (lettrés anoblis), d'instrumentalisation (asservissement professionnel au service de la corruption politique), de paupérisation (modèle économique criminel et violent) et de déshumanisation (exclusion sociale et abandon de dignité) qui relient dans un même engrenage d'asservissement, au profit des groupes économiques transnationaux, les différents groupes sociaux haïtiens, nul ne pourra comprendre l'invariance de la performance défaillante qui assure le glissement de l'écosystème social haïtien vers l'indigence.

Et c'est parce que cet effort de modélisation manque cruellement dans les travaux des sociologues, politologues, anthropologues, économistes, éditorialistes, analystes et autres ''toutologues'' haïtiens, que nous nous évertuons à partager quelques illustrations de cette cartographie TIPÉDANTE qui, grâce à la triangulation systémique et au langage graphique, nous permet de rendre compte avec autant d'acuité des problématiques occultées de l'écosystème haïtien.

Le processus de l'anoblissement symbolique, dans sa dimension sacralisante, se met en place selon quatre étapes qui donnent à l'insignifiance culturelle son statut de processus d'attrition stratégique (PAS). Mais, pour comprendre la nature d'enfumage de ce processus, il faut prendre le temps de relier dans un modèle systémique les données d'entrée et de sortie qui sont manipulées, tout au long de ce cycle processuel, par le jeu de rôle ambivalent des acteurs sociaux haïtiens. En effet, par leurs postures déviantes, ceux-ci se retrouvent, tantôt comme failles humaines facilitant l'initialisation du processus, tantôt comme co gestionnaires asservis nourrissant les défaillances de l'écosystème national, tantôt comme experts agissant pour corriger les défaillances des gestionnaires et tantôt comme co bénéficiaires anoblis.

Ce sont ces 4 étapes qui, dans l'ombre déformante des postures des acteurs sociaux (PAS) haïtiens, stabilisent la dimension fonctionnelle du processus de l'anoblissement asservi. Comme tel, il devient un processus paradoxal de sacralisation, car ayant un axe performant, agissant comme attracteur culturel, et un axe défaillant, agissant comme prisme de l'ignorance collective. Et comme ce processus n'est qu'un des rouages du cycle processuel (sacralisation, instrumentation, paupérisation, déshumanisation) de l'errance haïtienne, ses deux axes fonctionnels paradoxaux sont parfaitement alignés sur le processus global d'attrition stratégique (PAS) par lequel se performe l'invariance du système d'exploitation. Un PAS à PAS qui, parce que régulé et co-géré par le global et le local, confirme bien notre thèse insolente : les réseaux académiques, médiatiques et culturels haïtiens forment, par leur insignifiance, le fumier foisonnant où la géostratégie de la globalisation déverse les ressources ambivalentes qui assurent la prolifération des immondices politiques. Ces homo detritus, qui préfigurent cet avenir diminué de l'humanité que la globalisation réserve pour certaines populations.

C'est la perspective effroyable de voir Haïti glisser et se précipiter vers cet avenir déshumanisant, sous le regard insignifiant de ses groupes dominants, qu'il nous est apparu cette idée de mettre à contribution l'intelligence de la complexité pour expliquer à ceux et celles d'Haïti, qui n'ont pas encore renoncé totalement à l'intelligence et à la dignité, ce que cache le processus global de la sacralisation instrumentalisée ou de l'anoblissement culturel enfumé. Dans l'espoir qu'ils seront plus enclins à résister à ses attraits foudroyants.

L'exemple de Nesmy Manigat illustre parfaitement l'instrumentalisation de l'anoblissement comme asservissement du local par le global pour shitholiser Haïti. On se souvient que lors de son second passage comme ministre de l'éducation nationale du cartel de la criminalité, au pouvoir en Haïti depuis 2011, cet universitaire, adoubé et anobli par la communauté internationale, avait justifié les errances de sa stratégie de gouvernance du système éducatif haïtien en évoquant une démarche de Ti Pa Ti Pa (Pas à Pas). Démarche incohérente, asymétrique et dangereuse qui assumait la défaillance de la gouvernance éducative haïtienne à garantir les droits de toute la population à un accès sans discrimination à l'éducation.

Dans notre effort de modélisation TIPÉDANTE, nous avons contextualisé cette démarche Ti Pa TI Pa comme reflétant à la perfection le PAS à PAS gluant, par lequel les Postures des Acteurs Sociaux (PAS) haïtiens, anoblis par les acteurs globaux de la crapulerie internationale, s'affaissent sur les lignes des basses eaux culturelles, managériales et éthiques pour mieux s'aligner sur les lignes de failles du Processus d'Attrition Stratégique (PAS) qui assurent la défaillance des institutions haïtiennes au profit de la performance de l'assistance internationale. Un pas à pas qui se fait selon un cycle d'asservissement à 4 temps : temps de la sacralisation, de l'instrumentalisation, de la paupérisation et de la déshumanisation. Cycle au bout duquel l'assistance internationale triomphe toujours. Cycle analogue à celui de l'invariance de la régression circulaire qui passe aussi par quatre phases : Turbulence, Urgence. Urgence, Errance et Résilience.

Ainsi glisse Haïti vers l'indigence sous les pas gluants de ses élites locales anoblies par endettement éthique. Parce qu'il est en perte de sens avec son écosystème, l'insignifiant anobli ne va pas pouvoir donner du sens aux problématiques déshumanisantes que confronte la population de son pays. Dans le prisme de son référentiel culturel déviant, la déshumanisation de son collectif devient une incitation à se concentrer sur son succès, pour mieux le faire miroiter comme seule voie de sortie aux yeux des déshumanisés. Et c'est justement ce qui l'amène à ne pas pouvoir donner du sens aux données du contexte, et à les traiter par des biais pour dissimuler son insignifiance.

De l'insignifiance à l'indignité

Ainsi, quand il se présente devant le tableau de la déshumanisation de son collectif, l'acteur anobli par endettement éthique, parce qu'ayant la conscience effondrée et raisonnant par inversion de valeurs, ne voit dans les problématiques contextuelles de son écosystème que des opportunités et des attractions pour magnifier sa réussite. Ainsi, il va produire des biais dans le traitement des données contextuelles de l'écosystème, en cherchant à occulter, dissimuler et enfumer leur complexité pour ne pas mettre en évidence les vraies contraintes qui forment le faisceau de causes rendant invariantes les défaillances de l'écosystème. Pour toutes les problématiques à enjeux complexes, il préfèrera donner écho des superficialités qui bornent le périmètre de sa conscience effondrée et reflètent le vide de son inversion des valeurs, pour ne pas déranger les puissants acteurs qui profitent de ces enjeux et n'ont donc aucun intérêt à traiter les problématiques qui y sont liées. Une vraie démarche d'insignifiance qui lui permettra de mieux faire miroiter aux yeux de ceux et celles qui agonisent de désespérance la voie du désenracinement, de la superficialité, du déni de la complexité comme les postures d'intelligence adaptative donnant accès à l'anoblissement.

Il va de soi que ces postures de réussite flexibles et humainement rasantes, parce que maintenant Haïti sur sa trajectoire anthropologique invariante de régression circulaire, donnent à leurs titulaires la marque d'une certaine appartenance à un cercle d'insignifiants anoblis. Par insignifiance anoblie, il s'entend un évidement de la conscience, par lequel des acteurs sociaux d'un pays tournent le dos aux grandes problématiques séculaires de leur société, pour se focaliser sur les superficialités qui leur garantissent des réussites dans les rêves blancs d'ailleurs. Ainsi, l'insignifiant culturellement anobli haïtien va exceller dans l'art de briller sur les théâtres mondiaux de la culture (Ah, que nombreux sont-ils !), mais laissera en déshérence le territoire qui symbolise l'essence de son identité, de sa liberté, de sa dignité et de son humanité.

Par-delà l'irresponsabilité d'une telle posture, elle renferme insoutenablement une flagrante indignité ! Et l'indignité est une forme de médiocrité culturelle dont l'impact sur l'évolution d'une société est si déterminant, qu'elle justifie le besoin de modéliser le tissage des liens qui va de la perte de sens à la déshumanisation par la fabrique de l'ignorance collective.

En effet, l'être humain ne se distingue de l'animal que par sa dignité. Celle-ci étant cette capacité humaine à savoir se gêner, en trouvant de nobles raisons pour s'interdire des comportements, des décisions et des actions impudiques, irresponsables qui peuvent renvoyer une image dégénérescente de soi aux yeux des autres. Ainsi, sont dignes ceux et celles qui, au nom des valeurs éthiques transcendantes, liées à une pudeur de soi, s'imposent des limites, en termes de décisions et d'actions, de peur de ne pas, en provoquant une réprobation de quelques-uns, nuire à la société et à autrui. Et cela, en dépit des avantages personnels attractifs que ces décisions ou actions peuvent induire pour soi. La dignité est donc cette pudeur de soi qu'on mobilise comme frein à la perte de sens dans ses interactions Sociales, professionnelles (Organisationnelles) et Individuelles. Mais la dignité a aussi une dimension collective qui agit comme pudeur d'un groupe social dans sa détermination à se protéger des comportements déviants et dégénérescents par la réprobation sociale. Ainsi toute société qui ne peut pas mobiliser la dignité collective comme réprobation sociale contre ceux et celles qui ont mal agi est une société indigente, condamnée à la dégénérescence.

En ce sens, il y a un lien fort entre perte de sens (vecteur d'irresponsabilité), indignité, médiocrité et inhumanité.

Tenant compte de ce lien entre insignifiance et inhumanité, il semble assez logique de voir certains médias continuer à diffuser, et une partie de la jeunesse universitaire et des acteurs socioprofessionnels haïtiens continuer à prendre plaisir à écouter, et à danser, dans leurs moments festifs, la musique de Michel Martelly (ex président sanctionné internationalement pour trafic de drogue, criminalité et liens d'affaires avec les gangs), de Gracia Delva (ancien député et sénateur illettré, sanctionné internationalement pour criminalité et liens d'affaires avec les gangs) et aussi celle de quelques chefs de gangs, qui se veulent aussi artistes quand ils ne massacrent pas la population. Et cela, malgré la dévastation économique, institutionnelle et humaine que ces gens ont causé à la société haïtienne, ces 11 dernières années.

L'éternelle alliance malsaine entre crapules et couillons

Cette insignifiance culturelle, est la marque d'une auto déshumanisation certaine. Mais avant tout, elle est le reflet ou le symptôme d'une profonde ignorance collective. Car c'est bien de l'ignorance de croire que le cerveau de l'artiste-gangster/criminel qui produit de la musique a une structure neuronale différente que le cerveau qui l'ordonne de tuer, violer, massacrer une population et dévaster tout un pays. Pour cause, selon les travaux de Spinoza, repris par Antonio Damasio, le cerveau est un tout et que la capacité à ressentir des émotions positives et négatives, de jouissance et de violence, provient de la même architecture neuronale. Quand vous avez des universitaires haïtiens détenteurs de titres prestigieux, obtenus dans de grandes universités européennes, qui font la promotion des artistes gangsters sur les réseaux sociaux, priorisant leur jouissance personnelle tout en occultant la terreur et la souffrance que ces mêmes personnages causent à toute une population, il y a des preuves suffisantes pour conclure que le savoir et la culture aux mains des gens qui n'ont aucun repère éthique ne peuvent que produire de l'ignorance.

Preuve s'il en fallait que l'intelligence collective de ce pays n'a pas été déroutée, mais autoroutée vers l'indigence par les lettrés malicieux. Quand tout un collectif se retrouve incapable de se prémunir, malgré sa culture triomphante, par une forme de réprobation sociale, contre ceux et celles qui menacent sa dignité et son existence, c'est qu'il a renoncé à la dignité et qu'il n'a pas d'autre finalité que la survie indigente. Or, c'est la réprobation sociale qui permet de freiner l'irresponsabilité des uns et des autres en agissant comme une immunité de groupe et une invitation à la justice à sévir pour que l'injustice ne transforme pas la criminalité en un business impuni. Car, c'est toujours dans l'opacité des postures de complicités comme la cécité, la surdité et le silence devant les comportements sociaux déviants, que se tissent les mailles des filets de l'impunité, lesquels finissent toujours par verrouiller une société sur son inhumanité.

En ce sens, les formes de résistance et d'organisation qu'une société offre contre les crimes, les déviances et les violences, qu'elle subit à un moment donné de son histoire, renseignent objectivement sur les valeurs collectives qu'elle partage et qu'elle assume comme socle indépassable de son humanité, de sa dignité et de son intégrité. Or les données contextuelles sur les postures du collectif haïtien, tant de ses groupes dominants que de ses groupes dominés, durant ces 6 années de siège et de terreur des gangs, prouvent qu'il n'y a aucune valeur collective partagée qui unit la population haïtienne. Et cela, nous l'avons maintes fois dit dans nos publications, quand il n'y a pas d'intelligence collective en un lieu, c'est parce que la mémoire collective de ceux et celles qui y vivent ne vibre plus dans des résonnances dignes et transcendantes. C'est toujours le cas des collectifs qui, refusant d'exploiter les potentialités cognitives de leur structure neuronale, se fossilisent dans la survie, en végétant dans les lignes de basses eaux culturelles et éthiques, jusqu'au bout de la survie et de la laideur. De sorte, que tout ce qui est célébré en Haïti procède d'une même imposture, d'une même indigence.

La grande question est : y a-t-il encore une part d'Haïti qui peut être régénérée ? De toute évidence, ce ne sera pas par la politique. Et tout le drame est de savoir qu'il y a plein de gens, pour le moins honnêtes, qui continuent de croire que l'on peut changer ce pays par la militance politique, alors que celle-ci est, comme la culture et tout le reste, une terrifiante forfaiture aux mains de lettrés malicieux qui ne pensent qu'à leur réussite indigne. D'ailleurs, c'est leur posture qui donne sens au mot MALICE : Médiocres Anoblis en Lettrés par Indignité pour Cultiver l'Errance.

C'est manifestement l'assumation de l'insignifiance culturelle comme contre part du rayonnement académique et de l'anoblissement médiatique qui encourage les narratifs discriminatoires sur Haïti. Lieu paradoxal où, depuis l'indépendance, l'intelligence a toujours été mise en déroute par les médiocres. Mais, l'on pourrait se méprendre fortement sur ce concept de la déroute de l'intelligence par les médiocres, en croyant à tort qu'elle est l'œuvre victorieuse et triomphale des analphabètes, illettrés et autres incultes d'Haïti. Or, pour peu que l'on prête attention aux connexions malicieuses entre les crapules accréditées (hommes politiques médiocres, incultes et illettrés) et les couillons assumés (lettrés et universitaires anoblis) de cet écosystème flouté et enfumé, on s'apercevra que les médiocres et les affreux ne triomphent en Haïti que parce qu'ils reçoivent les adjuvants des lettrés et des gens de bien. M'en voudra-t-on de rappeler que, dans leur grande majorité, les lettrés, intellectuels et écrivains haïtiens, notamment ceux et celles anoblis par la communauté internationale, ont tous ensemble ou tour à tour, apporté leur aura pour le triomphe du parti de la criminalité de Michel Martelly de 2011 à 2025 : Michaëlle Jean, Danny Laferrière, Louis Naud Pierre, Josué Pierre Louis, Nesmy Manigat, Michèle Oriol, Franck Etienne, Pierre Raymond Dumas, Emmelie Prophète, Dr Jean William Pape, Wilson Laleau, pour ne citer que ceux et celles-là.

De fait, en Haïti, le segment historique allant de 1986 à 2025 est jalonné de nombreuses liaisons malsaines et immondes entre, d'une part, les délinquants et autre rebuts criminels, et d'autre part, les lettrés et autres gens de bien de la société haïtienne. C'est ce qui explique du reste pourquoi ce lieu résiste à toutes les tentatives de réforme et d'innovation. Médiocres anoblis et lettrés asservis se donnent la main, comme deux déficiences qui, en s'appuyant l'une sur l'autre, se neutralisent et créent un équilibre invariant.

Ayant explicité, en long et en large, la finalité de l'anoblissement culturel comme fonction d'asservissement du global par le local culturel, nous allons dans les deux derniers actes de cette tribune en venir à ce fameux article d'Ayibopost sur la multiplication frauduleuse des cartes d'identification pour montrer comment le biais médiatique et académique participe aussi, consciemment ou inconsciemment, à la fabrique de l'ignorance collective. Nous croyons humblement qu'en modélisant les rouages de ce processus d'anoblissement culturel, nous nous sommes livrés à un exercice pédagogique qui facilitera une meilleure compréhension des biais cognitifs produits par l'enfumage médiatique et académique. Tant pis si les réseaux médiatiques, académiques et culturels anoblis haïtiens, de cette génération, ne comprennent pas l'importance de ce travail de problématisation. Nous croyons, malgré tout, que pour peu que quelques-uns et quelques-unes, d'entre ceux qui aspirent à la dignité, survivent à cette indigence, il y en aura parmi eux qui se seront aguerris et prendront le relais de cette insolence. Et pourvu qu'ils soient plus nombreux, plus courageux, plus impétueux, plus organisés, plus disciplinés et plus entêtés, alors, ils la murmureront comme le chant exalté de l'inespéré, comme l'ultime posture éthique (PoÉthique)de la marche vers la régénérescence de ce lieu dont la déliance conduit à la dégénérescence.

Pour finir cette longue insolence, approprions contextuellement cette pensée de Jacques-Nicolas Billaud-Varenne qui nous rappelle que si presque toutes « les générations, qui se sont succédé sur la terre, ont toutes plus ou moins gémi sous le joug de l'oppression et dans les angoisses de la douleur », c'est parce que « la servitude des peuples est toujours dans la même proportion de l'ignorance et de la barbarie des temps » (Jacques-Nicolas Billaud-Varenne, Principes régénérateurs du système social, Sorbonne, 1992, pp. 65-77). En conséquence disons à ceux et celles qui survivront à la déshumanisation actuelle que les douleurs du passé et les errances du présent doivent servir de leçons et forger les connaissances qui permettront de réinventer le futur. Dans cette perspective, il faut espérer que le jour où l'insignifiance culturelle sera mise en échec en Haïti, l'ignorance collective sera vaincue, car la dignité et le culte de la transcendance refleuriront par l'émergence d'une nouvelle génération d'hommes et de femmes, plus responsables professionnellement, plus intègres patriotiquement et plus probes éthiquement.

Du point de vue de notre raisonnance PoÉthique, la dignité et la transcendance sont les deux faces de l'identité anthropologique de l'être humain systémiquement intelligent. Intelligence transversale et contextuelle qui seule peut permettre de s'enraciner sur le terroir d'un écosystème invariablement turbulent pour faire mûrir cette écologie de valeurs éthiques propice à garantir l'innovation d'Haïti. Une innovation qui devra être façonnée de l'intérieur, et non imposée de l'extérieur. D'où l'urgence de hâter l'ensemencement des ressources humaines systémiquement compétentes et plus enclines à donner du sens à la richesse des données problématiques de leur écosystème. Ce que justement ne peuvent pas faire les élus du cercle des insignifiants anoblis.

Erno Renoncourt

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